Résumé


La campagne SMOOTHSEAFLOOR se déroulera dans la partie orientale de la dorsale sud-ouest indienne. L’objectif phare de cette campagne est de déterminer la géologie d’un nouveau type de plancher océanique « non-volcanique » découvert en 2003 lors d’une campagne précédente.

dimanche 31 octobre 2010

Sous le fond de la mer, la vie continue

Très en dessous du fond des océans, nichée dans les pores et les fractures des roches de la lithosphère océanique, une intense vie microbienne semble se développer en l'absence de toute lumière, jusqu'à des profondeurs de plusieurs kilomètres. Les microorganismes sont en effet capables de coloniser même les environnements les plus extrêmes de notre planète et ceci, tant que la température (<120°C), la présence d'eau, la porosité, la disponibilité des sources de carbone et d'énergie le permettent.

Découverte il y a une dizaine d'années, cette vie intraterrestre semble ne rien avoir d'anecdotique: elle pourrait représenter la moitié de la biomasse du globe, soit autant de carbone organique que ce que l'on trouve à la surface de la Terre. Les études récentes sur les sédiments et les basaltes océaniques montrent que l'on peut y répertorier un grand nombre d'espèces très adaptées aux caractéristiques biochimiques et physiologiques uniques. Pour se développer, les écosystèmes de ces environnements puisent leur énergie métabolique des fluides hydrothermaux qui circulent ou directement des minéraux des roches, en les altérant. La source de carbone peut, quant à elle, être complètement inorganique s'il s'agit du CO2 dissous issu de l'eau de mer ou des fluides magmatiques profonds, ou être héritée de niveaux plus superficiels s'il s'agit de carbone organique sédimentaire.
Dans cette perspective, les péridotites de la lithosphère océanique présentent un intérêt tout particulier. En effet, lors de leur  interaction avec l'eau de mer, ces roches ont la capacité de générer d'importantes quantités d'hydrogène, du fuel pour le vivant, et ceci au travers de la réaction d'hydratation des silicates de magnésium et de fer (olivine, pyroxènes). Cet hydrogène, combiné au dioxyde de carbone, pourrait être à la base du développement de communautés dites chimiolithoautotrophes, premier échelon de ces écosystèmes  intraterrestres. A plus haute température, si cet hydrogène réduit le CO2, la serpentinisation peut également s'accompagner d'une production d'hydrocarbures légers et en particulier de méthane. Ces réactions de type Fischer-Tropsch sont totalement abiotiques mais doivent également être considérées dans ces approches car elles peuvent fournir des substrats métaboliques aux écosystèmes profonds.

Malgré l'importance de ces habitats potentiels, très peu d'études (géo)microbiologiques ont été menées jusqu'à présent dans ces environnements, comparé aux systèmes basaltiques de la croûte océanique ou aux sédiments associés. Il n'existe dès lors pas de preuves directes de l'existence de ces niches microbiennes nourries par les volatiles du manteau terrestre et de nombreuses questions simples restent encore en suspens : quelle peut être l'étendue de cette colonisation microbienne, sa nature et son taux d'activité ? jusqu'à quelles profondeurs ces systèmes se développent-ils ? combien de temps cette vie persiste une fois que l'activité hydrothermale a décliné et que la roche a vieilli ? quels extrêmes physiques et chimiques sont capables de tolérer ces microorganismes ? quelle peut être la productivité primaire des populations microbiennes dans ces environnements ? quels sont les facteurs physico-chimiques qui limitent cette productivité ? quel rôle ces microorganismes ont dans la fixation du carbone, le recyclage élémentaire entre l'océan et la croûte terrestre ainsi que l'évolution géologique de la lithosphère ? constituent-ils une piste intéressante pour comprendre comment, il y a plus de 3 milliards d'années, la vie est apparue sur la Terre Archéenne inhospitalière ?

C'est pour rechercher des indices d'une présence microbienne dans les péridotites hydratées de la lithosphère océanique que des géomicrobiologistes de l'IPGP et de l'Università di Modena e Reggio Emilia (Italie) ont rejoint l'équipe de SMOOTHSEAFLOOR. Si à bord l'essentiel du travail consiste à conditionner de manière appropriée les échantillons en limitant au maximum le risque de contamination, de retour au laboratoire, de nombreuses techniques de spectroscopie et de microscopie seront mises en œuvre pour rechercher dans ces roches des reliques d'une activité microbienne passée (présence de molécules biologiques ou de biominéraux). Cela permettra de poser les premières bases du fonctionnement des écosystèmes microbiens au sein de ces environnements ultramafiques encore peu explorés, d'évaluer leur rôle éventuel dans les processus d'altération des silicates du manteau et de cristallisation de nouvelles phases et leur impact potentiel dans les cycles biogéochimiques globaux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire